Mashuper c’est annoter

L’annotation audiovisuelle est une pratique descriptive, analytique, médiatique ou créative qui permet de produire du savoir autour des films et des vidéos, mais aussi d’accompagner les publics dans la découverte du cinéma. Cette pratique reconduit des formes traditionnelles de l’annotation papier. Certaines sont spécifiques à l’avènement du numérique, dont le mashup qui est, en soi, une forme d’annotation.

Des formes numériques d’annotation audiovisuelle

La pratique de l’annotation audiovisuelle peut remplir une fonction d’aide-mémoire, sur le modèle de la prise de notes. Elle permet également de dévoiler sa compréhension d’un contenu (un film, un programme TV, un UGC). Il peut enfin s’agir d’une activité médiatique et/ou créative.

Avec l’annotation audiovisuelle, il y a un prolongement des formes d’annotation héritée de la tradition littéraire. Ainsi, la forme la plus fréquemment rencontrée est celle de l’ajout textuel à côté du contenu vidéo.

Un exemple d'annotation textuelle sur le compte Vimeo de Julien Lahmi : ici, un titre et quelques autres éléments de sémantisation placés sous la vidéo : explication et mots-clés.
Un exemple d’annotation textuelle. Ici, un titre et quelques autres éléments de sémantisation placés sous la vidéo.

Il est également possible d’engager une activité d’annotation avec les vidéos en écrivant directement sur les contenus. Celle-ci prend alors la forme d’un signe graphique venant pointer un élément (flèche, cercle), d’un phylactère ou d’un texte incrusté sur l’image. Un principe courant sur Youtube[1] qui permet le sous-titrage, la traduction ou la création d’hypervidéos, comme ici avec le Famous Videocast de The Subs :

Il y a d’autres formes d’annotation à caractère évaluatif et médiatique que l’on retrouve sur la plupart des réseaux sociaux. On pensera à la fonction « like » qui permet, par simple activation d’un bouton, de déclarer son intérêt ou son affection pour un contenu, ou qui permet, plus simplement, de montrer que l’on a pris connaissance de l’information médiatisée.

Le découpage d’un document audiovisuel en segments est une autre manière de s’adonner à une activité d’annotation. Cette pratique héritée du montage filmique est utile lorsque l’on souhaite concentrer son attention sur les spécificités d’une partie seulement d’un contenu.

Le mashup : une nouvelle manière d’annoter à l’heure de la vidéographie numérique

À sa manière, le mashup est un geste d’annotation. La particularité de ce principe est qu’il n’introduit aucun élément textuel ou graphique. Il permet d’exprimer quelque chose (un point de vue, une opinion) par le seul assemblage de segments audiovisuels et/ou un travail sur la bande sonore. Il est également un commentaire sur les contenus qui sont exploités pour la réalisation.

Le mashup positionne donc l’image animée au centre d’un processus émergent de production de discours qui se passe – ou peut se passer – du texte, mais qui a besoin de s’adosser à des objets qui lui préexistent pour générer du sens et favoriser la circulation des savoirs.

Ce sont le plus souvent des images populaires reconnues de tous que l’on retrouve dans ce champ de l’écriture audiovisuelle. En ce sens, on rencontre de nombreux mashups parodiques ou des pastiches audiovisuels. Mark Caro, ex-journaliste au Chicago Tribune, parlait déjà en 2006 de « Pop Culture Mashups »[2].

Une des conséquences du caractère populaire et « circulant »[3] du mashup est qu’il n’a pas une forme unique et stable. Dans sa forme pure, il ne repose que sur l’association d’extraits provenant de sources différentes (ex. 1 ci-dessous). Mais il peut prendre d’autres formes : insertion d’une voix-over (ex. 2), ponction d’un trope (un mot, une phrase, un son, un geste ou une attitude – ex. 3), réalisation musicale reposant sur l’extraction de segments sonores (ex. 4), etc.

https://youtu.be/sWQ2mf8-WJY?list=PL780099A31BBD3B11

À l’instar de ce dernier exemple (Youtube Duet: Miles Davis improvising on LCD Soundsystem) on voit qu’il n’y a pas que des mashups comiques. On rencontre des formes sérieuses et cultivées, un peu à la manière du Serious Game qui a fait la preuve que le jeu n’a pas qu’une visée distractive et qu’il peut, au contraire, se présenter comme un support pédagogique d’apprentissage. Ce type de mashups sérieux fonctionne selon un principe d’assemblage thématique de séquences produisant du discours sur le cinéma et sur notre culture des images, comme en témoigne ce mashup Casinos et cinéma de Johanna Vaude :

https://youtu.be/IlBl399JK7g?list=PLGgP-iwu9i_z2xJh4bEU0J_2G336tlRzd

Dans le même sens, une expérimentation a été conduite à la Bibliothèque Publique d’Information (BPI) du Centre Pompidou en décembre 2012 dans le cadre d’un projet de recherche sur l’annotation audiovisuelle : Cinecast. Il s’agissait d’offrir aux usagers de la bibliothèque la possibilité de réaliser des mashups à l’aide d’Hashcut, un logiciel développé par l’Institut de Recherche et d’Innovation (IRI) du centre Pompidou, autour d’un fonds de films documentaires sur l’habitat pour lequel la BPI a l’intégralité des droits[4].

Un utilisateur réalisant un mashup durant les ateliers d'expérimentation de la BPI en décembre 2012
Un utilisateur réalisant un mashup durant les ateliers d’expérimentation de la BPI en  2012

L’objectif était de promouvoir une forme de médiation du cinéma basée sur la réalisation de mashups sérieux, chacun des segments filmiques utilisés pour leur réalisation restant lié au film d’origine selon un principe d’hyperliens. Ce modèle, pensé par Ted Nelson dès les années 1960[5], puis marginalisé, est aujourd’hui repris et déployé par des institutions comme l’IRI dans le cadre de ses développements technologiques, afin d’assurer la découverte et la protection des sources.

Pour conclure

Le réalisateur de mashups est donc aussi un annotateur, en ce sens où il met en discussion des extraits de films, les documente et qu’il met en circulation des connaissances et des savoirs avec eux et autour d’eux. Une pratique qui rend compte en profondeur de ce qu’est l’expression sociale à l’heure du numérique.

Michaël Bourgatte

[1] https://support.google.com/youtube/answer/92710?hl=fr (dernière consultation : le 20 février 2016).

[2] Caro, M. (2006). « Love those Trailer Mashups ». featuresblogs.chicagotribune.com/entertainment_popmachine/2006/04/love_those_trai.html (dernière consultation : le 20 février 2016).

[3] Sur ce point, nous renvoyons aux travaux d’Yves Jeanneret (Penser la trivialité. La vie triviale des être culturels. Paris : Hermès-Lavoisier. 2008). Note de lecture du livre par Jean-François Tétu ici.

[4] On le sait, une des principales limites à la pratique du mashup est d’ordre juridique puisqu’il est, pour l’heure, illégal de manipuler des films sans l’accord préalable des ayant-droits. Ainsi, toutes les productions que l’on peut trouver sur Internet sont hors-la-loi et parviennent à rester en ligne seulement parce qu’il existe des formes de tolérance.

[5] Le modèle de l’Internet tel qu’il a été imaginé par le sociologue Ted Nelson autour du projet Xanadu repose sur le principe d’un lien permanent maintenu avec la source audiovisuelle originale, permettant ainsi d’assurer légalement l’utilisation du contenu ou d’une partie de celui-ci. Il a été supplanté par le protocole http, moins complexe, mais davantage faillible. Cf. Darras, D. & Lancien. T. (2012). « Généalogie de l’hypertexte comme média à partir d’entretiens avec Ted Nelson ». In MEI n°34, p. 11-25.