L’ATTAQUE DES TITANS : COMBATTRE LA TERREUR PAR LE MASHUP

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L’Attaque des Titans est le Game of Thrones de l’animation japonaise, comme j’aime souvent à le décrire auprès de mes proches lorsqu’il s’agit d’introduire cette fiction fantastique et moyen-âgeuse. Pourquoi cette comparaison ? L’anime, développé en 2013 par les studios WIT et I.G. Productions, adapte le manga homonyme de Hajime Isayama. Il se rapproche de la série d’HBO par, d’un côté ses nombreux points communs thématiques et formels, de l’autre la révolution qu’il instaure également dans son domaine de création. Game of Thrones a rétabli la fantasy auprès du grand public, une fantasy plus sombre, empreinte d’enjeux de pouvoir, mais aussi de sexe et de sang, migrant les regards loin de l’épopée à la Tolkien. Les enjeux sont lourds, les personnages ambigus, et la réalisation ambitieuse. De même, L’Attaque des Titans redonne au public d’anime la noirceur qui manquait depuis quelque temps dans les productions, agençant une atmosphère d’oppression proche de celle d’un Battle Royale qui avait marqué les esprits à l’aube des années 2000.

En outre, question symptomatique de ces deux séries, c’est la dynamique de la survie des personnages qui assoit en premier lieu leur succès : les morts peuvent surgir dans des massacres inattendus, et les plus vaillants sont rarement ceux qui s’en sortent.               

Après l’excellente synthèse écrite par mon collègue rédacteur Antoine James Menou sur la série américaine, il me semblait plus que nécessaire d’accorder un article aux nombreux détournements de cette première saison de l’anime japonais – et dont la suite ne se dévoilera qu’au printemps prochain… Et quelle richesse ! Les recherches ont dévoilé, rare pour des objets populaires aussi récents, une pléthore de redoublages, remixages, remontages et détournements en tout genre, autant du côté occidental qu’oriental. Cela démontre combien la série a marqué les esprits mais aussi que son univers, relativement unique en son genre, et loin des codes du shônen (manga destiné aux jeunes garçons) habituel, a permis aux créateurs d’apporter des comparaisons ou des greffes fantaisistes. L’Attaque des Titans se déroule dans un univers apocalyptique moyen-âgeux, où les habitants vivent derrière de larges murs pour échapper aux attaques des Titans. Les jeunes héros de la série, malgré une décennie paisible derrière ce rempart, sont confrontés dès le premier épisode à un violent retour de ces géants anthropophages, qu’ils vont devoir combattre.

Cet univers, entièrement coupé de toute réalité japonaise et extrêmement codifié, laisse paradoxalement plus de facilité aux spectateurs pour le détourner. La série, si elle terrifie, indique bien par ses rituels et ses particularités qu’elle est une fiction ménageant ainsi de la place à l’imagination.

Le sérieux extrême de la série et la puissance de ses scènes traumatiques renforcent le pouvoir de création. Beaucoup de créateurs s’en servent comme moyen de subversion de leurs propres angoisses de spectateurs et les détournent par des contenus non-existants dans la série – notamment le thème de la sexualité, un point de différence fondamental avec Game of Thrones.

Le Japon est par ailleurs le plus conscient de ce potentiel de détournement. Une parodie fut même écrite et adaptée en animation par le même studio ! Dans Attack on Titan : Junior High, les personnages rejouent les scènes violentes au collège… Et de nombreux shows télévisés proposent des numéros comiques autour de ce succès.

Le générique d’ouverture de la série est l’un des éléments symptomatiques des actions de mashup. Le parallèle est saisissant avec Game of Thrones, dont l’épique générique a aussi inspiré de nombreuses reprises. L’opening de L’Attaque des Titans marqua autant les esprits, non seulement au niveau musical et vocal. Il est composé par le groupe Linked Horizon, projet musical issu du groupe Sound Horizon, célèbre au Japon pour ses musiques de jeux vidéos. La prédominance des choeurs insuffle un ton épique, surenchéri par la virtuosité de l’animation, dynamique et en rythme avec chaque intonation sonore. Le premier générique, plus que le deuxième, fut maintes fois greffé à d’autres scènes d’ouverture du monde télévisuel. Certains internautes affirment, par ces migrations, que la chanson, par sa frappante singularité, électrise et dynamise littéralement toutes les images dont les plus enfantines ou innocentes. Une autre pratique consiste à remplacer les motifs de l’opening de L’Attaque des Titans par d’autres plus décalés. My Little Pony, Pokémon, Super Mario Bros… Tout y passe. L’un des plus célèbres mashups de ce genre est « Attack on Hentai » (hentai : qualificatif du pervers moyen), où un Japonais en maillot de bain remplace les monstres géants.

L’action de substitution s’étend au-delà de l’opening. Bien souvent, il s’agit de trouver des équivalents burlesques aux effrayants Titans. La pratique récurrente offre des variations plus ou moins comiques et dont le but définitif est de tourner en dérision les éléments sérieux de la série. Si la substitution permet souvent de se moquer d’un objet populaire, de la tourner volontiers en ridicule pour démontrer l’absence d’intérêt, elle est dans ce cas-là plus un moyen de combattre, par le rire, la terreur propagée par les créations d’Hajime Isayama. Le mashup tient ici du cathartique puisqu’il s’agit de partager son angoisse tout en la démantelant. Ainsi cette proposition travaille sur l’une des scènes plus terrifiantes de la série. A la fin de l’épisode 4, le héros vient d’achever son entraînement au sein de la faction armée qui combat les Titans. Le montage de cette scène finale laisse supposer, dans la logique du genre shounen et du rythme d’un anime en général, que l’épisode se conclura dans un sentiment d’appréhension de l’avenir, avec tout de même une fervente affirmation de l’espoir et du courage du protagoniste. Le monologue intérieur de celui-ci est par ailleurs partagé en voix-off, confirmant cette conclusion. Or, sur les dernières secondes, la série déroge brusquement à la règle. Ce sursaut esthétique et rythmique transforme cet anodin moment en une scène marquante et souvent reprise ou détournée.

Cet autre exemple qui vient du continent nippon et de sa plateforme participative nicovidéo, se révèle un peu plus subtil. Le premier épisode de la série est respecté jusqu’à l’intégration progressive d’éléments du shojo (manga pour filles). Plus précisément, le terme de moe qui qualifie l’épisode remplace les Titans par des héroïnes féminines. Ce mashup se révèle plus complexe que le précédent, avec des moments plus ou moins travaillés. Le rythme de l’épisode est respecté, certaines scènes sont gardées dans leur intégralité, l’avertissement et le générique sont parodiés. La greffe d’éléments extérieurs est parfois soignée, d’autres fois non, rendant l’ensemble plus ou moins expérimental, et s’amusant à introduire du fantasme dans l’univers si sérieux de L’Attaque des Titans. Dans la culture otaku, le terme de moe s’applique en effet à des personnages qui suscitent très aisément des sentiments et auxquels on s’attache vite. Mais très vite, le protagoniste moe – qui est très généralement une jeune fille – soulève aussi bien plus que cela, comme on peut le constater vers la fin du détournement, proche du fantasme sexuel. Dans ce mashup sont ainsi reconnaissables des figures hautement prisées par les fans, comme celles des séries Highschool of The Dead, Angel Beats (dont le générique est aussi parodié), To Aru Majutsu no Index, Hyouka ; ou des extraits de chansons de pop idol, comme celle d’Angela.

Cette création nous permet de transiter, après la tendance à briser l’image du terrifiant Titan, vers l’autre grand thème qui agite les mashups de L’Attaque des Titans. S’il est une majeure différence entre la série japonaise et Game of Thrones, c’est l’absence totale de sexualité. D’une manière générale, la création du studio I.G. mise plus sur le spectaculaire et la stratégie plutôt que sur l’épanchement des sentiments ou des possibilités de romance, d’érotisation… Les relations entre les personnages se révèlent présentes, mais demeurent sobres et gouvernées par l’action en place. Cette retenue suscite notamment des regrets chez les spectateurs, et certains expriment bien souvent leur souhait de voir naître des couples au cours de la prochaine saison. D’autres n’hésitent pas à s’infiltrer dans cette brèche inexploitée pour laisser courir leur imagination. La fanfiction ou le doujinshi (courant parodique du manga) réinterprètent ainsi les relations entre les frères et sœurs, les amis d’enfance ou les soldats présents dans la série – à lire par ailleurs sur le sujet de la fanfiction, l’article écrit par ma collègue Amélie. Du côté du mashup, les créateurs injectent volontiers du contenu érotique ou sexuel par allusions ou comparaisons explicites. Aux Etats-Unis en particulier, beaucoup s’amusent à redoubler partiellement ou intégralement la série, remettant dans les dialogues très sérieux de protagonistes angoissés par les situations, des sous-entendus déplacés ou vulgaires. « A Slap Of Titans » est un célèbre exemple du genre, puisqu’il redouble la série entière. Dans la version originale de cet extrait, le héros est emprisonné par certains supérieurs de la faction, qu’il tente de convaincre de le libérer. Le redoublage permet de savourer une autre interprétation de la rencontre.

Il s’agit de combler l’absence de sexualité dans la série et de proposer des variations sentimentales dans ce monde si codifié. Le personnage du Capitaine Levi est en outre à mentionner, car il est l’une des figures suscitant le plus de réécritures fantasmatiques au sein de la communauté de spectateurs. Sa popularité, autant que sa dérision excessive, proviennent d’un charisme souvent en contraste avec un sérieux imperturbable. Là encore, le personnage cristallise ce que les fans et créateurs tentent précisément de faire avec la série : faire craquer le vernis d’une image et lui redonner du fantasme. Ce mashup, aussi une parodie de la chanson Let It Go, établit une relation amoureuse entre le héros et ce personnage – Oh heichou signifiant « O Capitaine »

Les créateurs, qu’ils soient dans la parodie ou le mashup, se sont emparés très rapidement d’un univers extrêmement balisé. L’originalité ou la dérision de certains est par ailleurs remarquable, que ce soit dans la qualité de substitution des créatures ou dans le dynamisme de redoublages convaincants. En cela, les créations adjacentes à L’Attaque des Titans ne se limitent pas, comme c’est malheureusement souvent le cas pour la majorité des séries animées populaires, à l’établissement d’une tribune ou l’assouvissement de fantasmes. Elles sont au contraire riches d’imagination, témoignant souvent de l’amusement de leurs artistes qui réfléchissent à des contresens, des jeux de mots relatifs aux éléments de la série, de l’ironie…

Pour conclure, revenons à quelques classiques… Un fan de la série s’est amusé à reprendre la célèbre chanson de Musclor / He-Man pour l’attribuer à l’un des protagonistes secondaires. Armin, par ailleurs figure à l’évolution extrêmement singulière dans l’oeuvre du studio I.G., contient une certaine hystérie dans son animation. Celle-ci résonne impeccablement avec le disco improbable d’He-Man. Mais au-delà d’Armin, ce petit mashup éclaire bien, par les discrets jeux de boucle sur certains gestes, les singularités de l’animation de L’Attaque des Titans : regards hallucinés, corps souvent tordus par la peur ou la douleur, perspectives vertigineuses et rythme marqué d’impulsions. Les créations autour du phénomène en viennent ainsi, sous leurs apparences fantaisistes et délurées, à mettre en lumière la virtuosité de l’objet qu’elles manipulent.