Entrevue avec Richard Vézina

Le studio Gump a fait débarquer les personnages de Kubrick chez Hitchcock. Avec Blue Shining, Richard Vézina emprunte les images du Shining de Kubrick et les amène dans les vapeurs bleutées de l’univers lynchien. Un autre moyen pour nous spectateurs d’exorciser l’effroi qui s’empare de nous aujourd’hui ? Nous pleurons nos morts mais personne ne pourra faire taire notre liberté d’interpréter, de se mélanger et de créer. Si certains veulent nous imposer le noir, nous pouvons nous battre pour le bleu. Nous avons toujours le pouvoir de réenchanter le monde. Comme le dit, dans l’oeuvre de Vézina, la fée lynchienne à Jack Torrance devenu fou « Don’t turn away from love ».

 

Qu’est-ce qui fait que l’on se lance un jour dans un projet tel que Blue Shining ?
Richard Vézina : La naissance de ce projet a été le fruit d’un constat : le besoin de faire un petit projet entre deux beaucoup plus  gros ! Tous les projets que je fais s’échelonnent sur de longues périodes, souvent presque un an, parce que je n’y travaille que quelques heures de temps en temps. Et juste avant Blue Shining, j’avais démarré un très gros projet dont je savais qu’il prendrait beaucoup de temps, projet qui est d’ailleurs sur les tablettes pour le moment. Donc de là est venue l’idée de Blue Shining, qui au départ devait seulement durer 2 à 3 minutes. Malheureusement, je me suis fait avoir, et ce projet m’a pris autant de temps que les autres !

 

Etre réalisateur de films mashups, n’est-ce pas pousser sa cinéphilie à l’extrême jusqu’à basculer dans la création ?
R.V. : Dans mon cas,  il y a un peu de cela en effet.  Le besoin de faire du montage, quel que soit le genre, est d’une certaine façon un moyen de « faire son cinéma ». Beaucoup de cinéphiles rêvent de faire leurs films, mais pour une multitude de raisons, très peu de gens y parviennent. Avant de faire des mashups, j’ai fait un premier court métrage, qui m’a pris énormément de temps et d’énergie. Ainsi, faire des montages avec des images déjà existantes est pour moi une façon réaliste de combler mon besoin de création. 

 

Pouvez-vous nous dire ce qui vous différencie dans la galaxie Mashup cinéma ?
R.V. : Et bien dans ma tête, je n’ai fait qu’un seul mashup, Blue-Shining ! Les projets sur Kubrick A Stanley Kubrick Odyssey, et David Lynch David Lynch in Four Mouvements , sont plutôt des hommages conventionnels qui s’éloignent de ce que l’on voit généralement dans les mashups. Aussi, à part Blue Shining, tous mes projets partent du besoin de créer à partir de la musique. À ce propos, dans Blue Shining, je n’ai pas pu m’empêcher d’inclure deux séquences musicales qui se rapprochent plus de ce que je fais d’habitude. Il y a la séquence avec la pièce Love Letters de Blue Velvet et celle avec Polish Poem d’Inland EmpireUn autre aspect qui me différencie est sûrement le temps que j’y mets! Beaucoup de mashups qu’on peut voir sur Internet sont souvent faits en quelques jours , voire quelques heures. Dans mon cas, le moindre projet prend au minimum plusieurs mois.

 

Oui sauf qu’ici nous parlons de la rencontre du Mashup et du cinéma. Tous les mashup présents dans cette encyclopédie en ligne sont des oeuvres qui ont nécessité des mois de travail. Desquelles vous sentez-vous le plus proche ? De ceux présents dans la famille des hommageurs
R.V : Je ne connais pas toutes les subtilités entre les différentes catégories, mais oui «Hommageurs» semble me définir parfaitement.  Les quatre mashups que j’ai fait jusqu’à présent sont tous des hommages à des réalisateurs. Cela inclut l’hommage à Dario Argento que je n’ai toujours pas publié puisque ce projet est en suspens. Mon prochain projet sera le premier qui ne sera pas lié à un réalisateur en particulier. 

Blue shining 3

Pour Blue Shining, votre principe créatif est de prendre les images d’un cinéaste et de les transformer « picturalement » pour leur donner la saveur propre à l’univers d’un autre cinéaste. Cela fonctionne très bien avec ce Shining de Kubrick à la sauche lynchienne. Mais pourrait-on, par exemple, prendre des images de Mulholland drive et les transposer dans l’alphabet kubrickien ? Pensez-vous que tout est propice à la connexion ?
R.V. : Dans un exercice de style comme Blue Shining, je crois que tout est possible, mais qu’il y a beaucoup de combinaisons dont le résultat serait sans intérêt, autant d’un point de vue créatif que pour les spectateurs. J’ai choisi l’univers de Lynch parce que ce réalisateur a une signature visuelle très forte, qui est immédiatement identifiable entre toutes. Pour The Shining, c’était le film parfait pour un tel exercice, car la structure du film et le visuel  sont uniques. Comme pour la plupart des films de Kubrick, chaque scène est une sorte de tableau. La composition et la symétrie sont parfaites. Donc utiliser ou modifier des scènes de ce film sera toujours un acte créatif intéressant. Et ce n’est pas pour rien qu’il y a plusieurs autres projets qui ont utilisé ce film comme toile de fond.
Par contre, il serait difficile de faire le même exercice avec l’œuvre d’un réalisateur dont l’aspect visuel est moins définissable . Si on me demandait de transposer l’univers de Spielberg ou de Scorsese dans un autre film, je serais bien embêté. La seule façon de faire serait de tout simplement prendre des personnages et éléments de leur film, et de les incruster dans un autre film. Il est à remarquer que dans Blue Shining, c’est un peu le mélange des deux aspects, soit la transposition du  style visuel et sonore du réalisateur, et l’inclusion de certains éléments de ses films (la Lady in the Radiator, le paysage de Straight Story, les toiles sur les murs, etc.). Bref, il n’y a pas de limite à ce que l’on peut faire en ce domaine, mais certains choix de réalisateurs et de films donneront des résultats plus probants que d’autre.
 
Quel rapport entretenez-vous avec la matière que vous empruntez ?
R.V. : Je me sens privilégié de pouvoir manipuler des images filmées par des grands du cinéma.

 

Qu’est-ce qu’on ne trouve pas dans le cinéma traditionnel et que l’on trouve dans le cinéma mashup ?
R.V. : La liberté de faire les associations les plus folles, sans être contraint par les normes narratives habituelles du cinéma filmeur.
 
Le cinéma d’emprunt a toujours existé. Pourquoi, selon vous, connaît-il un tel engouement aujourd’hui ?
R.V : Grâce aux ordinateurs et supports numériques, l’accessibilité est maintenant pour tous, et ce à très faible coût. Et avec internet, une facilité de diffusion inimaginable il n’y a pas si longtemps.

 

Quels outils utilisez-vous pour glaner des images et pour les transformer ? Comment procédez-vous intellectuellement ?
R.V. : J’ai commencé il y a 15 ans avec Ulead Media Studio Pro. Maintenant, je suis sous Premiere Pro CC. J’ai une seule et unique façon de procéder, la musique! Ce sont les choix musicaux que je fais qui déterminent quel style et rythme aura le mashup. Le gros du travail se fait loin de l’ordinateur, en écoutant la musique des centaines de fois, jusqu’à  ce que la fusion entre la musique et le choix des images me semblent parfaite dans ma tête. 
 

Cadeau Bonux : le fameux questionnaire Bernard Mashup Pivot