Traitons des trailers !

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Le MashUp est multiple, le MashUp est divers. Après les hommages, puis les shreds, on va parler d’un autre type de MashUp, plus orienté cinéma pour le coup. Car si vous êtes des internautes avertis, vous avez probablement déjà vu des fausses bande-annonces, ces petites perles, parodiques ou non, drôles ou non, qui proposent de mettre en avant, à la manière des officielles, des films sortis, à venir, ou qui ne verront jamais le jour.

Les bande-annonces pullulent et pourtant il existe peu de travaux théoriques traitant de ces moyens de promotion audiovisuels. En mai 2012, Gabriel Petit présente un mémoire intitulé « La bande-annonce, un film amplifié », ce dernier va nous permettre de comprendre les subtilités et les mécaniques des détournements qui en sont fait:.

« Selon Bordwell, le spectateur effectue deux opérations cognitives pour organiser le récit d’un film : d’une part, il y a une opération bottom-up (ascendante) qui permet de comprendre un récit à partir d’indices perceptifs (pure visual cues) et, d’autre part, l’opération top-down (descendante) qui est liée à des schémas déjà acquis par le spectateur qui permettent également d’émettre des hypothèses sur le récit. Il est important de mentionner que ces deux mouvements sont utilisés conjointement par le spectateur. »

Un exercice de style

Dans une industrie cinématographique formatée, la bande-annonce fait partie des outils de promotion qui formellement étonnent le moins, puisque son efficacité réside dans les deux opérations présentées ci-dessus. D’une part, en présenter assez sur le film pour que le contexte soit compréhensible, d’autre part, en présenter assez peu pour laisser l’imagination du spectateur faire des spéculations sur le développement de l’histoire.
Présentation des enjeux, des personnages, mise en avant des money shots (plans techniquement impressionnants et très couteux à réaliser), la construction varie peu, à tel point qu’il existe même des groupes spécialisés dans les musiques de bande-annonces, et que leur travail se retrouve parfois dans différentes bande-annonces dans la même année.

Alors que l’objectif de la bande-annonce est de présenter le produit qui va sortir, celui-ci est vanté, et se construit autour de lui une imagerie attrayante. Comme la publicité essaie de donner une profondeur symbolique aux produits, la bande-annonce met en place des mécanismes de frustration, donnant juste assez au spectateur pour que ce dernier se déplace dans les salles obscures. Le MashUp permet de déstructurer cette histoire vendue pour la réécrire ou la commenter.

Une réécriture scénaristique

C’est ce que se proposent de faire Mozinor ou VinzA en montant un trailer de Bienvenue chez les Ch’tis comme un drame ou Gravity comme une comédie romantique. Le jeu avec les stéréotypes des bande-annonces permet de montrer à quel point les différentes opérations décrites par Bordwell sont interdépendantes. Le décalage que créera le Mashupeur apportera, selon ses choix, des sentiments contradictoires. Le spectateur appréciant la bande-annonce différemment selon sa compréhension du détournement et sa connaissance du film.

Le silence des agneaux, célèbre comédie romantique selon VinzA:

Il n’est donc pas surprenant de voir des bande-annonces parodiées ou détournées au même titre que les films desquels elles sont tirées. En effet, c’est l’occasion pour le Mashupeur de faire ses propres choix formels. Choisir de monter une bande-annonce, c’est faire des choix particuliers, et chaque film sera généralement assez riche pour passer de la comédie à la tragédie. C’est ainsi que l’on a pu voir émerger des recuts aussi efficaces que Mrs Doubtfire as a horror movie, ou encore Shining Recut

La critique d’une œuvre en se basant uniquement sur l’œuvre

Les Honest Trailers ont réussi à populariser une manière de faire intéressante. Il s’agit de proposer un point de vue critique sur une œuvre à partir des seules images de ladite œuvre. Faisant ainsi du trailer non pas un produit d’appel, mais une critique parfois désopilante des clichés et facilités scénaristiques que l’on ne verra jamais dans une bande-annonce. Le concept de trailer est alors retourné pour juger et non plus vendre le film. Le mécanisme mis en place pour titiller la curiosité et le portefeuille du potentiel spectateur est détourné pour décortiquer l’intrigue. Ajoutez à cela des sketchs et des bons mots et le tour est joué, l’honest trailer est une réussite populaire dotée d’un concept efficace.

Au delà de la critique d’une œuvre, il existe des trailers dont le point de vue critique va au delà de la seule fiction qu’ils mettent en scène. C’est le cas du désormais visionnaire Titanic 2 : Jack is back qui par le truchement du montage faisait revenir Jack dans la suite de Titanic, suivi d’un aussi pertinent Titanic 3 – Sequel to the Sequel proposant un propos humoristique sur les suites absurdes au cinéma. Ces vidéos datant respectivement de 2007 et 2008 n’ont pas empêché la sortie d’un véritable film Titanic 2 en 2010. Les Mashupeurs seraient-ils des Cassandre modernes, précurseurs incompris ?

La bande-annonce déstructurée et remontée par le Mashupeur devient un vrai moment de cinéma jusqu’à, pourquoi pas, une vraie sortie en salle ?

Si le Joker de Christopher Nolan annonçait avec un sourire aux lèvres « Tuer, c’est faire un choix », il ne fit que confirmer ce que disait Pablo Picasso, MashUpeur devant l’éternel, à savoir “Tout acte de création est d’abord un acte de destruction.”