Y a-t-il vocation du Shred à s’taire ?

shred

Si quand on vous dit Shred, vous pensez à un ogre vert héros de film d’animation… Passez votre chemin. Pour les autres, attachez vos ceintures, préparez vous à voir vos oreilles saigner de bonheur, dans cet article, on parle de Shred !

La théorie

La théorie du Shred, s’intègre dans la philosophie MashUp, simple, efficace, on prend un clip musical, on lui enlève sa musique et on la remplace par le même titre mal réalisé par un amateur éclairé.
Elle s’appuie sur le phénomène de synchrèse, théorisé par Michel Chion, qui amène à établir instantanément un rapport étroit d’interdépendance entre les sons et les images, qui n’ont souvent que peu de relation réelle dans les clips.

En suivant les mouvements du batteur, en suivant les mouvements des lèvres du chanteur, on réalise une bande sonore plus ou moins fausse qui collera parfaitement avec l’image. Une feuille qui passe à l’écran, on double le vent et le bruit de la feuille qui glisse sur le visage le chanteur.

On arrive à quelque chose de particulier, parfois très drôle.

La pratique

Après la théorie, claire et concise, rien ne vaut l’exemple :

One Republic – Counting Stars (shred) from Dennis on Vimeo.

Le Shred est une manière de se ré-approprier une chanson, par l’intermédiaire d’une création qui va coller au clip vidéo. Cette idée soulève de nombreuses questions techniques, de droit, ou d’éthique, mais est surtout un moyen fantastique de critique (positive ou négative) à l’égard du titre choisi.

Sur l’exemple choisi, One Republic – Counting Stars, on notera les détails modifiés du titre original, les respirations, les défaillances vocales, partant dans les aigus. Toutes ces modifications sont des remarques pertinentes, et prouvées par l’absurde, du travail réalisé sur la voix.

Certes, les musiciens le sont de profession, et il peut sembler comme indispensable que la musique vendue soit d’une qualité irréprochable. Mais le travail de lissage des instruments et des voix donne quelque chose de formaté et fait perdre le naturel du chant et du son, par nature imparfait.

Le Shred comme un discours sur la musique et sur l’image

Mettre en valeur la vidéo, c’est choisir de questionner la cohérence entre ce qu’on voit et ce qu’on entend.

Dans ce shred, le comique de la situation est indescriptible. En fait si, il l’est. Admirez ces personnages visiblement mal à l’aise face au silence gênant imposé par le Shredeur. (Encore une fois, si le terme « shredeur » vous fait penser à un personnage de série d’animation… Non mais restez, moi aussi j’aime bien la pizza). Admirez donc ces personnages et savourez l’attitude toute grotesque de ce chanteur dont le seul moment de plénitude réside dans ce mouvement risible de claquement de mains. Alors, encore une fois, le shred remet à plat cette mise en scène un peu convenue.

Dans le shred, l’applaudissement, soulignant le rythme d’un clip musical, n’est plus dynamique et entraînant, mais relève plus de la description chère à Pierre Desproges. À savoir une manifestation complètement instinctive du système nerveux cérébro-spinal, manifestation par laquelle le chimpanzé ou la ménagère manifeste leur joie frénétique et incontrôlée à la vue d’une banane… Ou de Julio Eglesias. Bref, l’applaudissement n’est pas fun, il a plutôt l’air stupide.

“La musique peut rendre les hommes libres.” disait Bob Marley, il s’avère que l’absence de musique peut rendre les hommes ridicules.
Au delà de cela, le shred, c’est la musique sans la musique, et Friedrich Nietzsche, lui-même, ne disait-il pas : “Sans la musique, la vie serait une erreur”. Si ! Il le disait. je vois le petit rigolo derrière qui cherche dans les œuvres complètes pour vérifier. C’est dans l’ouvrage au titre révélateur Le Crépuscule des idoles figurez-vous !

Et c’est précisément ce titre qui va mettre le doigt sur l’ambition du Shred, désacraliser des images et les personnages connus et, de cette position iconoclaste, remettre en question la mise en scène et l’ambiance vendue dans un clip.

Si le Shred est peu connu en France, il est une discipline un peu plus répandue dans le monde anglosaxon, malgré son importation en France par des vidéastes populaires. En effet, PV Nova, podcasteur spécialisé dans les chroniques musicales sur internet s’est prêté à l’exercice sur le clip A sky full of stars, de Coldplay.

Pourtant ce ne sont pas les clips français qui manquent, et nombreux seraient ceux qui ont un potentiel réel à être passé à la moulinette du Shred. Et si vous-même ne cherchez qu’une motivation pour vous lancer dans cet art, n’oubliez pas ce que disait Joseph Joubert : « Il n’y a pas de musique plus agréable que les variations des airs connus. »