Khaled Freak : le remix c’est chic

Le mashupeur marseillais Khaled Freak s’est fait connaître ces dernières années grâce à des remix musicaux de discours politique à base de “punchlines”, entre autres.

Dans le top 50 des vidéos les plus vues en France en 2017 il y a la désormais fameuse “blague” du petit Adrien : “qu’est-ce qui est jaune et qui attend” ? Reprise, remontée et mise en musique par Khaled Freak, elle est propulsée au-dessus de la barre des 10 millions de vues. Ce sont surtout ses remix des prises de parole politiques qui le font connaître en 2016. Pour cause, Freak est à l’affut des “punchlines” et des “battles” comme le rap en fait beaucoup usage. Ainsi, une joute verbale à l’Assemblée Nationale entre Dominique Bord et Bernard Cazeneuve devient C’est pas de votre faute, un remix bien tourné. Les discours sont des objets intéressant à détourner car ils sont très écrits et ont la force de l’engagement de leur locuteur. Khaled Freak reprend le son, le découpe, le ralentit ou l’accélère mais surtout lui donne de nouvelles tonalités grâce à une technique proche de l’autotune, il “mélodifie”. “Ce que je fais ce n’est pas de l’autotune. C’est un autre alogrithme de tunage des tonalités auquel le nom “autotune” vole la vedette. J’utilise Melodyne comme beaucoup d’artistes. Quand on entend un autotune qui ne fait pas mal aux oreilles, doux, dans lequel on reconnaît le timbre naturel c’est pas l’autotune. Le terme reste car c’est plus compréhensible. L’autotune classique est un peu électrique et robotisé”.
Offrez un clavier de synthétiseur à un enfant de 7 ans et vous changerez sa vie. C’est ce qui est arrivé à Khaled Freak. Mais, recalé à l’école de musique, il se contentera pour gagner sa vie de travailler avec des claviers AZERTY comme technicien réseau pour un grand opérateur téléphonique. Chassez la passion elle revient au galop. Trente ans plus tard, le « gamin » retourne à la musique et par la porte de YouTube. Et après – et malgré – le succès phénoménale de sa chaîne et la reconnaissance qui va avec, le musicien contrarié envisage de suivre la formation qui lui a été refusée pour devenir officiellement beatmaker et producteur, alors qu’il pourrait s’en passer. “Je connais la pratique mais je veux connaître la théorie, pour aller au bout, être un pro et non pas seulement un autodidacte”. Le musicien attribue à la chanteuse Cher le premier usage “abusif” de l’autotune. Mais c’est la chaîne YouTube Songify The News des Frères Gregory qui inspire ses premiers pas dans le remix. En 2017, après avoir été repéré grâce à son Perlimpimpim, Freak signe une collaboration éclaire avec Schmoyoho, le plus “mashup” de la famille, en attendant un nouveau projet commun. Bien que attachés par les liens du son, les deux artistes ont un style bien différent. L’américain est plutôt YTP (“YouTube Poop”, genre de mashup jouant sur l’humour un peu gras ou totalement absurde) et cherche à faire rire. Freak utilise l’humour lui aussi, mais il nz se cantonne pas à la blague musicale. Ses remix sont capables d’êtres à la fois drôles et émouvants, comme Pénélope ou l’incroyable Han Ouais dont le principal protagoniste est un jeune délinquant belge jugé au tribunal de Charleroi. Le mashupeur marseillais fait de son mieux pour conserver l’atmosphère et le sens du matériau d’origine. Par ailleurs, l’usage de l’autotune (de Melodyne…) n’est pas systématique. Plusieurs de ses vidéos n’en contiennent pas, comme Pas ça, le plaidoyer du Président français contre les dangers de l’extrême-droite. “Toutes les voix et toutes les vidéos ne se prêtent pas à l’autotune” nous dit Freak. Le rap s’en accommode bien, le rock moins.
Le succès de sa chaîne a rapporté quelques contrats au créateur de 36 ans. Notamment, Canal+ a fait appel à lui pour créer des remix des discours politiques des personnages de la série de fiction Baron Noir, pour coller à la réalité. A ce rythme, Freak pourrait se reposer sur ses lauriers. Or, il y a un danger qui guette tous les youtubeurs : s’ils se cantonnent au même genre et au même format, ils risquent la stagnation, voire pire, la chute. Il y a deux mois de cela, et aussi pour alléger sa charge de travail, il s’est adjoint les services du monteur Bonezi qui ajoute sa créativité visuelle, très YTP. Poster des vidéos sur YouTube, ça ne suffit pas pour faire exister un artiste. “Il faut un label, un producteur. Sans, c’est difficile de faire un buzz à chaque fois (…). Et peu s’engagent car ce genre est relativement peu connu”. Pour les instrumentations, Khaled Freak aime utiliser des créations pré-existantes. “Je préfère ne rien avoir à faire avec la proposition musicale, pour m’amuser plus, comme un producteur à qui on donne un instrumental et une voix et on dit ‘fais nous un hit’ ”. Avec Une poule, basé sur le caquètement d’une volaille, que nous vous présentons au Mashup Film Festival 2018, vous serez sans doute d’accord pour dire que c’est quasiment mission accomplie.